Au laboratoire d’anatomie de la faculté de médecine de Brest, j’observe, j’accompagne,je questionne le travail qui s’effectue autour des corps. Dans ce lieu singulier, transitent des ossements, des membres, des troncs, des poumons, des cœurs, des têtes, des fragments ou des corps entiers, congelés ou conservés en immersion dans des bocaux. La dissection se pratique en ce lieu singulier, aseptisé, par des chirurgiens en quête de savoir et je m’immisce dans ce monde secret pour y développer, en parallèle, mon propre travail de dissection, à coups de fusain, de crayon et de pinceaux.
Les émotions ressenties dès le début ont rendu ce travail difficile. Le contact avec la mort, des corps sans vie, reste un moment très douloureux à vivre. Le sentiment d’identification brouille la capacité à représenter et à traiter ce sujet sereinement. Des deuils personnels remontent à la surface, des angoisses infantiles ressurgissent dans les discours. Puis, peu à peu, une mise à distance s’effectue. La force d’identification s’attenue. Ces corps deviennent étrangers, objets esthétiques purs : « la dissection est une effraction radicale, rendue possible par la mort, en l’absence de leur propriétaire ».
Mes pas peuvent désormais suivre ceux des chercheurs en médecine qui ouvrent, opèrent, enlèvent, dissèquent, déchirent, découpent, recousent. Tel est mon travail plastique. Je cherche quelque chose dans ce puzzle humain, dans cette mécanique fragmentée, sans vie, quelque chose de mystérieux et fascinant dont la réponse m’échappe encore. Mon point de vue n’est pas celui des chercheurs : rendre visible l’invisible, par mon approche décalée des corps en ces lieux froids. Il y a la mort. Il y a des corps. Et peut-être quelque chose d’autres pour les vivants qui s’y arrêtent.
Je longe un sentier fragile qui pourrait prendre naissance dans la citation de Paul Valéry « un personnage est une synthèse de recherches qui vont de la dissection à la psychologie ».